Anti-Flag étaient à Paris pour une journée promo début décembre pour présenter leur album « 20/20 Vision »! Anaïs et Victor se sont rendus dans un petit hôtel parisien pour discuter avec Justin Sane (Chant).
L’album est disponible chez Spinefarm Records
Anaïs: Bonjour Justin, peux-tu commencer par te présenter et présenter le groupe ?
Justin: Je suis Justin Sane et je chante et joue de la guitare pour Anti-Flag.
Victor : Avant de parler du nouvel album, comment s’est passée la tournée que vous avez faite cette année ?
Justin: Oui, on a beaucoup tourné. C’était vraiment amusant, j’aurais pensé qu’on prendrait une pause plus longue, mais le fait d’être loin du monde nous a décidé à être de nouveau sur les routes, pour personne d’autre que nous même. On voulait être en tournée et se connecter aux gens.
Anaïs: Vous avez un nouvel album, qui est sorti en Janvier, qui s’intitule « 20/20 Vision ». Quand avez-vous commencé à travailler sur ce nouvel opus ?
Justin: Il n’y a pas si longtemps, en fait. On était en Europe il y a tout juste un an, et on prévoyait déjà de faire un album. Mais, à cause de l’état du monde, spécifiquement aux États-Unis, avec Donald Trump, on sentait qu’on devait faire un album. Que ça devait sortir de nous, je voulais vraiment qu’on établisse notre position cette fois, où nous nous situons, car je crois que dans le futur, Donald Trump sera vu comme un président horrible et une personne terrible. Et je ne veux pas que, plus tard, quelqu’un dise : « Regarde ce que Trump a fait ! Qu’est que tu as fait ou pourquoi est-ce que tu n’as rien dit ? ». Je veux être honnête là-dessus : voilà ce qu’on en dit !
Donc, l’album finit par tourner autour de Trump en grande partie et on à jamais fait un album de ce type, où le président américain servait d’échantillon pour l’album, son visage sur la couverture. On ne le niera pas, cet album est à propos de Trump, parce qu’il est en quelque sorte le visage d’un mouvement presque fasciste en plein expansion et que ça arrive partout autour du monde, pas seulement aux États-Unis : en France, vous avez Le Pen, Boris Johnson en Angleterre. Bolsonaro (Jair) au Brezil et j’en passe.
Il y a un tas de personnes, de gouvernements ou de régimes autoritaires qui accèdent au pouvoir. Nous pensons que Trump est un exemple de ces gouvernements et du mouvement même. Ce genre de mouvements presque terroriste qui donne un droit absolu. J’appelle ça un mouvement terroriste car même le FBI, aux USA, le catégorise comme ça : ils tuent des gens. Ils les menacent et les tuent. Quand on regarde le tireur de l’église de Christchurch, il fait référence à Trump. On retrouve dans son manifeste le fait que Trump soit une bonne figure de front pour ce mouvement.
Nous sommes de Pittsburgh en Pennsylvanie et La synagogue Tree Of Life est à Pittsburg et c’est là où a eu lieu la plus grosse fusillade antisémite de l’histoire des États-Unis dans notre ville d’origine. Quand j’ai vu ces choses, j’ai pensé à Trump et ce mouvement qu’il représente.
Victor: J’allais parler des paroles de l’album, justement. Beaucoup traitent du sectarisme non dissimulé aux USA, de plus en plus visible ces quatre dernières années. Penses-tu que ce sectarisme aide à la résurgence de ces idées néo-fascistes ?
Justin: Et bien, oui. Je veux dire, c’est ce dont la chanson « Christian Nationalist » traite. On peut parler des leaders religieux, quelle que soit la religion. C’est ce qu’il y a de pire en Amérique : nous avons des blancs nationalistes, des chrétiens nationalistes à la Maison Blanche. Pour nous, ça faisait sens d’écrire à propos des gens. De ces gens, qui croient être ordonnés par Dieu pour gouverner les autres, qui se croient meilleurs que tous les autres parce qu’ils sont choisis.
Ils pensent que nous, les autres, n’en valons pas la peine et qu’ils devraient nous supprimer le pouvoir qu’on a. Quand on regarde la religion, n’importe quelle religion, il y a des personnes comme ça. Je n’applique pas ça à une seule religion en particulier, qui prête allégeance à une personne stupide. Je dis ça car je pense que la religion sert à contrôler les gens…. je crois que je me suis perdu dans mes divagations, tu peux me rappeler la question ?
Victor: Penses-tu que ce sectarisme aide à la résurgence de nombre de ces idées néo-fascistes ?
Justin: Le président des États-Unis est l’une des personnes le plus écoutés, dans le monde entier. Il peut l’être grâce aux journaux internationaux, qui consignent tout, partout. Donc, de base, son mégaphone est les plus gros au monde et il dit des énormités racistes tout le temps. Il dit des choses qui sont un signal ou un code pour ses followers, comme « C’est ce en quoi je crois. ». C’est intéressant, car « rendre l’Amérique florissante à nouveau » était un slogan utilisé par les leaders racistes dans les années 70 et 80. Les jeunes ne savent pas ce genre de choses, mais les gens qui sont racistes le savent. Ils savent ce que « rendre l’Amérique florissante à nouveau » signifie vraiment.
Quand Trump l’a repris en tant que slogan de campagne, ce qu’il disait en fait c’est : « Hey, les Blancs, je suis votre gars. », il est de ces racistes qui n’aiment pas les autres car ils sont différents. « Je suis ce gars. » Parce qu’il a autant d’influences, parce que les gens voient leur président agir de cette façon, ça donne un prétexte pour agir de la même façon.
Pour ces raisons et bien d’autres, nous voulions écrire cet album. Nous sentions que c’était important de revenir et de parler de ces choses, de remuer toutes ces choses. Nous ne voulons pas qu’elles deviennent normales.
Anaïs: Comment est-ce que tu te sens, en tant que personne et en tant que groupe, par rapport à tout ce qui arrive aux USA depuis les dernières élections ?
Justin: C’est vraiment comme une rupture douloureuse, je dirais. Je ne pensais pas qu’un jour, les États-Unis serait ceux qui enfermerait les gens dans des camps de concentration, ni que ces gens seraient des enfants. Je veux dire, c’est dingue. Trump finit dans l’album 20/20 Vision car quand il dit ou fait certaines choses, il a toujours une excuse pour faire passer ça pour un bien.
Même quand les gens disent « Vous enfermez les enfants dans des camps de concentrations », il essaie de justifier pourquoi ça arrive en embellissant tout, alors qu’en fait, c’est plat. Dans 20/20 Vision, c’est comme si on pouvait y voir clair. La vision parfaite, dénuée de toutes ces conneries dont il parle et croire ce qu’on voit de nos propres yeux, croire l’évidence.
Ça a été déprimant, mais aussi énervant et frustrant. On a ce sentiment d’avoir quelque chose à dire, quelque chose à faire et travailler sur cet album est une façon de rassembler les gens et de faire le bien, de corriger les choses. Ce que je crois et ce qu’on a essayé de faire, c’est d’y parvenir, à travers l’album, avec des refrains et différentes chansons.
On peut devenir cynique face à ce que Trump fait, mais quand on devient cynique, c’est qu’on se sent submergé et alors, il gagne. Il veut nous éteindre, il veut qu’on abandonne. Avec quelques chansons comme : « Don’t Let The Bastards Get you down » ou « Unbreakable », on parle du fait que ça peut être dur, frustrant mais qu’on peut inverser la tendance. On rappelle aux gens que c’est possible de prendre du bon temps, de s’amuser, parce que ces merdes sont si moches et si lourdes que nous devons nous entraider et voir la beauté de la vie.
Victor: Je me souviens que nous avons vu ça aussi, en France : avec une journaliste et tout ce truc d’enfants et de camps de concentration. Elle ne pouvait pas en parler, pas devant les caméra. Elle répétait « Je ne peux pas. Je ne peux pas faire ça. Je suis désolée… » Elle ne pouvait pas en parler avec neutralité et pleurait devant la caméra.
Justin; Oui, c’est dur. Trump a mis en danger beaucoup de gens. Il est responsable de ces morts, dont celles de ces enfants. Je maintiens qu’il est un président dangereux et je pense qu’on a besoin de changer, de le remplacer aussi vite que possible.
Anaïs: Dans l’album, vous faites remarquer que ce que les groupes punk véhicule comme moyens de communication et idées sont cannibalisés par le droit alternatif. Comment les groupes punk et ceux contre les politiques gouvernementales peuvent-ils trouver un moyen de partager à nouveau ces idées?
Justin: C’est la liberté d’expression : chacun devrait être capable de dire ce qu’il a à dire, bien que les meilleures idées ne soient plus d’actualité et démodées On est qu’au début de l’évolution d’internet et de ce qui arrive dans le monde. Il y a tellement de bruit et tellement de choses dites, qu’il est facile de monter une théorie du complot. Et ça mène inévitablement à croire en l’importance de ce qu’on dit et de ce qui est vrai.
Encore une fois, c’est pour cela que nous voulions faire cet album, car il a des gens qui répandent leur idéologie, là, dehors et ces idéologies ne sont rien d’autres que des outils pour leur donner du pouvoir.
C’est pourquoi on doit aller à leur encontre, se faire entendre et c’est pourquoi on fait un album. C’est un moyen de contrer le bruit et la laideur qu’il y a dehors. Je ne pense pas que notre album va régler les choses, à lui seule, mais je pense que c’est une de plus qui s’élève contre ces conneries.
Victor: Dans de nombreuses régions du monde, les gens manifestent contre le gouvernement élu et pour l’environnement, pourquoi pensez-vous que les gens sont de plus en plus contre les règles établies ?
Justin: En 1999, il y a 20 ans donc, il a y eu des protestations en masse, à Seattle, dans l’état de Washington où les protestants militaient contre le WTO (Organisation Mondiale Du Commerce, NDR). Outre le fait de protester, ça dit surtout que si un système de reconnaissance est créé par le gouvernement mondiale, ça peut entraîner beaucoup de gens derrière et ça aboutit à détruire la planète.
C’est ce qu’ils disaient il y a 20 ans et ils avaient raison, car aujourd’hui, nous sommes nombreux à être, économiquement, coincés derrière de petits groupes de gens qui sont devenus vraiment très riches. La planète est en train d’être détruite par l’homme, les scientifiques le confirme aujourd’hui.
Je pense que c’était inévitable, parce que nous vivons dans un système économique qui est avant tout un engrenage, afin qu’un petit groupe de personne retire du profit, avant tout le reste et c’est totalement insoutenable. Ce système économique ne va pas tenir, il va finir par se briser et c’est ce dont il est question derrières ces protestations : les gens sont là pour dire qu’ils souffrent, que nous n’avons pas ce dont nous avons besoin. Nous nous rendons compte que les ressources sont là, mais qu’elles ne sont pas partagées.
Au summum, on a une voie qui clame « Hey, vous bousillez notre planète, les mecs, bordel ». Ils la laissent en cendre, comme un gars venant du futur pourrait dire. Pourtant, ce genre de fait me donne de l’espoir, tu vois. Malheureusement, il y a des gens qui ont de l’influence et qui ne veulent pas en tirer avantage.
Ça n’arrivera pas en une nuit, ça ne sera pas facile de reprendre le pouvoir à ces gens et de promulguer une égalité au sein de la société. Ce n’est pas quelque chose contre laquelle on peut arrêter de lutter. C’est comme un but inaccessible, on ne pourra jamais atteindre ça à 100%, mais c’est une question d’engagement : à savoir jusqu’où la société peut aller pour y parvenir. Je pense que, parfois les gens ne font pas assez attention aux changements, ils cherchent toujours une façon de revenir en arrière, de plus en plus loin, jusqu’à ce qu’ils se mettent à jour et disent finalement « Oh merde, ça ne sent pas bon”.
Les choses doivent changer, mais il est clair que ce changement ne viendra pas des gouvernements, alors les gens commencent à les repousser et s’opposer à eux. Ce qui me rappelle une chose, je parle des manifestations générales qui ont eu lieux en France, jeudi (5 Décembre 2019). En 1968, il y a eu ces immenses protestations qui ont complètement changées la société française. Je pense que la plupart des gens qui ont participé à ces protestations, pensaient simplement aller à une autre manifestation. Ils n’avaient pas réalisé que tout serait différent après ce week-end.
Je pense que c’est là le potentiel de toutes manifestations, à la base : beaucoup de gens se mobilisent en disant « C’est une étape », mais on ne sait jamais ce qu’il va arriver, quels changements ça peut entraîner et pour ces raisons, je pense que chaque protestation, chaque rassemblement est important car tu ne sais pas ce qui va en ressortir, peut-être une chose que personne ne croyait possible. Les gens ont du pouvoir. le gouvernement veut toujours étouffer la descente dans les rues, ils la haïssent, car ils savent qu’il y a toujours une chance de perdre le pouvoir, un truc et BOOM, tout change.
Anaïs: On voit le problème gouvernemental ressortir par ces émeutes, justement. Quand une population se réunit chaque semaine, proteste inlassablement car il n’y a pas d’argent, pas de travail, on s’en rend compte. J’espère que quelque chose découle de ce mouvement, car après un an de conflit, tu te dois d’être à l’écoute des gens.
Justin: C’est pour ça que la révolution est extraordinaire. Les gens de pouvoir ne voient jamais les gros changements venir. Parce qu’ils sont hors de portée et qu’ils mettent le plus de profit et de pouvoir qu’ils peuvent de côté, avant de voir les répercussions de ses manifestations. C’est une époque où il est intéressant d’être en vie et on verra où tout ça mène. Evidemment, je suis du côté des gens, quand il est question de justice économique, de salaire juste etc… éradiquer l’homophobie et la transphobie… J’espère juste le meilleur.
Victor: Quels sont vos plans, pour les mois à venir ?
Justin: On a fait une tournée en France et dans les alentours, donc on a bouclé notre tournée pour cette année. Mais on sera de retour très vite en France et pour jouer au Hellfest. Donc on commence à tourner en Europe le 7 janvier et pour quelques mois, puis en retrait quelques mois et les festivals commencent en été. On va déjà voir ça, ensuite je ne sais pas où on en sera.
Victor: Merci pour tes réponses! A très bientôt!
Anaïs: Merci Justin pour ton accueil!
Merci à Roger et Replica Promotion pour l’opportunité et un grand merci à Emeline pour son aide pour traduire cette interview!