L’artiste Kristin Hayter plus connue sous le nom de Lingua Ignota est de retour depuis début août avec son quatrième album studio Sinners Get Ready qui est également le premier à sortir via le label Sargent House Records.
Comme chaque album, celui-ci est très expérimental notamment au niveau instrumental car l’artiste a appris seule à jouer du violoncelle et du banjo. Sinners Get Ready est également une œuvre crée dans la douleur, Kristin Hayter souffrant à ce moment-là des suites d’une opération à la colonne vertébrale. Le disque prend sa source dans le paysage Pennsylvanien et sa désolation la plus complète et sinistre avec des intruments folkloriques des Appalaches mais il s’imprègne également de la ferveur religieuse propre à cette région. Le tout apportant un côté très occulte à ce nouvel opus.
On peut également noter un contraste intéressant avec son album précédent Caligula, où l’artiste s’adressait directement à Satan sur Sinners Get Ready, l’auditeur assiste à un portrait très personnel de Dieu dépeint par la multi-instrumentiste. Entrons donc dans le vif du sujet avec le premier titre The Order Of Spiritual Virgins où on a l’impression que les cris de Lingua Ignota sont bien loin mais que nenni! Même si le chant s’apparente dès le départ à quelque chose de très Folk, l’impression de douceur s’évapore avec les sons Indus joués par Einstürzende Neubauten passé les 4:30 et la voix de la chanteuse devient plus torturée voir presque agonisante. La dernière partie du morceau arrachera littéralement le coeur de n’importe quel auditeur de par sa froideur et son déchirement. Une voix bouleversante sur un instrumental vraiment particulier!
I Who Bend The Tall Grasses est principalement basé sur un instrumental composé avec un orgue d’église et des choeurs quasi religieux, avant que la voix pleine de colère de Hayter ne perce la fragilité de l’instant. Le morceau paraît également très spirituel voir emprunt d’influence de chant grégorien, l’artiste ayant exprimé récemment son intérêt pour le catholicisme romain cela n’aurait rien d’étonnant à ce qu’elle ait pioché de ce côté-là. Les supplications de l’artiste se transforment vite en une voix rauque et rageuse qui crie son refus d’être une victime pour défendre la doctrine chrétienne du sacrifice de soi.
Le single Pennsylvania Furnace semble très minimaliste comparé aux trois premiers titres, quelque chose de plus accessible peut-être et de très doux où la voix est parfaitement mise en valeur.
Sur les deux titres suivants on découvre donc les talents de Lingua Ignota au banjo pour le premier Repent Now Confess Now, un morceau d’une grande douceur où on peut aisément imaginer l’artiste en prêtresse en attente de confessions d’un partenaire violent comme sur ses précédents albums la chanteuse évoque ses traumatismes liés à des abus sexuels et sur ce nouvel album on peut encore entendre l’écho de ce traumatisme sur quelques morceaux comme Many Hands « The Lord held me by my neck » ou bien donc sur Repent Now Confess Now « He will take your legs / And your will to live ». Chacun des morceaux de Sinners Get Ready possède une immense et belle fragilité qui retourne le cœur avec une facilité déconcertante.
Sur The Sacred Linament Of Judgment où on retrouve donc le violoncelle évoqué plus haut, ce morceau utilise également un sample de la confession du télévangéliste Jimmy Swaggart.
Perpetual Flame Of Centralia a également été choisi comme single pour promouvoir l’album bien que possédant un aspect relativement lugubre, le morceau est lui aussi d’une incroyable beauté. La chanteuse évoque là la religion chrétienne et Jésus comparant la souffrance vertueuse de ce dernier avec ses propres souffrances. « Fear is nothing when the path is righteous… Mine is the venom of the snake of Eden » chante-elle accompagnée des trémolos d’une mandoline dans le lointain. Cet intrument accompagne d’ailleurs parfaitement les lamentations de la chanteuse sur la vie, le pêché et le martyr entre autres choses.
Man Is Like A Spring Flower est radicalement différent des précédents morceaux, il possède un rythme frénétique qui pourrait s’apparenter à de la musique tzigane d’Europe de l’Est tout en gardant un esprit très Neo-Folk. Le morceau commence également avec un sample d’une interview d’une prostituée retrouvée aux côtés de Jimmy Swaggart.
L’album se clôture par The Solitary Brethren Of Ephrata, une composition ressemblant à un hymne religieux qu’aurait pu interpréter la communauté religieuse du XVIIIème siècle évoquée par le nom du morceau. La chanteuse s’inspire ici de la piété recluse du cloître d’Ephrata en Pennsylvanie. “Paradise will be mine… Ugliness my home/ Loneliness my master/ I bow to him alone.” la question se pose quand au « him » chanté…Une référence à Dieu ou encore à Jésus est envisageable mais très incertaine.
Sinners Get Ready est un album particulier, notamment au niveau de son acoustique qui fait ressortir de nouvelles facettes de la voix de Lingua Ignota notamment ses fêlures (comme sur Many Hands). Cet album représente un catharsis pour l’artiste qui compare ses luttes personnelles à des caractères bibliques. Après un Caligula poignant et ravageur où la chanteuse se positionnait en tant que victime, Sinners Get Ready est un album d’une beauté rare de nos jours où elle passe au statut de maîtresse de sa propre douleur. A coup sûr, cet album prendra une dimension toute particulière en live.
Tracklist :
01. The Order Of Spiritual Virgins
02. I Who Bend The Tall Grasses
03. Many Hands
04. Pennsylvania Furnace
05. Repent Now Confess Now
06. The Sacred Linament Of Judgment
07. Perpetual Flame Of Centralia
08. Man Is Like A Spring Flower
09. The Solitary Brethren Of Ephrata
