[ENGLISH VERSION BELOW]
Le public s’installe au cœur de l’Iboat, cette péniche mythique amarrée sur les quais de Bordeaux. À l’intérieur, la salle; une cale transformée en cocon musical : le plafond est si bas qu’on peut le toucher, du bout des doigts. La scène, elle, est à hauteur de regard, les lumières tamisées faisant danser les reflets sur les parois métalliques. L’ambiance est intime, presque confidentielle. Et pourtant, la salle est déjà bien remplie. Ce soir, deux univers vont s’y succéder, le voyage commence avec Yadé.

Né en 2023, Yadé est le projet d’une artiste bordelaise à la double vie : infirmière le jour, enchanteresse musicale la nuit. Accompagnée de son complice Julien Pierre, elle plonge immédiatement la salle dans une atmosphère pop-électro aérienne, à la fois légère et déroutante. Son univers est un savant mélange de douceur et de tension, oscillant entre poésie éthérée et folie maîtrisée.
Sur scène, Yadé se métamorphose. Ses gestes deviennent un langage, ses mains se tordent, son visage s’anime de grimaces expressives, au rythme des beats et des ruptures électroniques. Elle arpente la scène comme une nymphe moderne, mi-taquine, mi-mystérieuse, captant les regards pour ne plus les lâcher. Son regard fixe, presque hypnotique, traverse la foule, donnant la sensation qu’elle chante pour chacun, individuellement.
Entre les morceaux, elle désamorce cette intensité par des interventions pleines d’humour et de légèreté. Avant le titre Kraken, elle plaisante sur sa thalassophobie “et dire qu’on est sur un bateau !”; déclenchant les rires d’un public déjà conquis. Plus tard, elle évoque avec autodérision son “érotomanie”, qu’elle dit “soigner” grâce à son travail en hôpital psy, avant d’enchaîner sur le morceau Erotomania dans un clin d’œil amusé.
Musicalement, l’univers de Yadé convoque de multiples influences : les textures fragiles d’Aurora, l’intensité de Billie Eilish, les accents poétiques d’Angèle, les expérimentations de Bjork, et même la nordicité mystique d’Eivør, dont elle reprend un titre avec émotion. Cette diversité se fond dans une identité claire, personnelle, déjà bien marquée malgré la jeunesse du projet.
À ses côtés, Julien Pierre fait preuve d’une aisance impressionnante, un multi-instrumentiste discret, mais essentiel. Il jongle entre claviers, guitares, boucles électro et chœurs, tissant l’écrin sonore dans lequel Yadé peut déployer toute sa singularité.
Cette première partie, à la fois surprenante et envoûtante, installe une atmosphère suspendue. Yadé captive sans effort, jouant de spontanéité et de précision, mêlée de légèreté et de profondeur. Le duo parvient à créer une bulle dans laquelle le temps semble se dilater, laissant le public à la fois apaisé et intrigué.
Yadé est une découverte rafraîchissante, sincère et déjà pleine de personnalité qui donne clairement envie de replonger dans son univers, au fil de son recent EP et de ses singles.

Après une courte pause, le temps que la péniche reprenne son souffle, Sylvaine prend place sur la petite scène de l’Iboat. Le contraste est immédiat : là où Yadé nous ensorcelait juste avant, par son excentrisme et sa malice, Sylvaine invoque un voile de brume, une atmosphère quasi irréelle. Les premières notes de Earthbound résonnent comme un souffle vers un autre monde, portées par la voix schizophrénique de Kathrine Shepard. Elle oscille, avec une facilité désarmante, entre un scream black metal glaçant et un chant lumineux, fragile et cristallin. Le plafond bas, les murs métalliques noirs, tout semble vibrer à l’unisson avec la réverbération de sa guitare. On ne regarde plus la scène, on s’y abandonne.
Très vite, Abeyance et Fortapt s’enchaînent, renforçant cette impression de flottement suspendu. Chaque moment de songe éthéré s’étire dans l’air, chaque souffle, écorché de black metal, semble faire trembler la coque. Dans cet espace confiné, la musique de Sylvaine prend une dimension intime, incandescente. Les montées en intensité, les explosions post-metal noyées dans la mélancolie frappent en plein cœur. I Close My Eyes So I Can See fait chavirer la péniche d’une tension contenue, à la fois lourde et aérienne, avant que Nowhere, Still Somewhere ne nous emporte littéralement dans une transe céleste, satinée d’une indiscutable beauté.
Les transitions sont fluides et organiques, une vague sonore qui vient s’échouer doucement sur chaque spectateur. À ses côtés, les musiciens nous aspergent d’embruns phoniques, d’une précision remarquable. La batterie, tour à tour aérienne et martiale, soutient chaque montée émotionnelle. Pendant ce temps, la basse vibre jusque dans la carène du bateau, ancrant les envolées d’une lourdeur terrestre. Sur Atoms Aligned, Coming Undone, la cohésion du groupe s’illumine au grand jour. Leurs regards, leurs gestes, tout se révèle, tel un rituel précis et habité. Un travail d’équipe venant cristalliser tout le génie instrumental du groupe. On assiste à un alignement d’atomes magiques, nous emmenant au-delà des mondes pour effleurer des univers profonds et inconnus.
Le jeu de scène de Kathrine, tout en retenue, amplifie la puissance émotionnelle du moment. Elle garde souvent les yeux fermés (et nous aussi), comme pour mieux se laisser traverser par sa propre musique. Puis soudain, sa voix bascule. Du chant clair, presque céleste, elle glisse dans un scream black metal d’une intensité déchirante. Notamment sur Mono No Aware et Severance, où la douceur se mue en fureur, la lumière devient tempête. Dans la péniche, chaque hurlement semble éclabousser les parois, emprisonné avec nous dans ce huis clos hypnotique.
Entre deux morceaux, elle remercie le public d’une voix douce, presque timide, touchée par la proximité de la salle et l’aura chaleureuse qui s’en dégage. Sur A Ghost Trapped in Limbo, sept minutes de pure beauté enveloppante viennent nous draper dans une douceur gracieuse, on retient notre souffle. C’est sur Mørklagt qu’elle le libère, dans un dernier cri cathartique, porté par la batterie grondante et les guitares en apnée. Le set s’achève sur un moment hors du temps : l’interprétation solitaire et intime de Eg Er Framand, une reprise de chant nordique traditionnel d’une beauté désarmante. Le public est figé dans un silence absolu, suspendu à chaque mouvement de lèvres de la chanteuse. À cet instant, le reste du monde est effacé, il ne reste plus que Sylvaine, la cale de l’Iboat et son équipage, nous.
Le concert se termine dans un mélange de silence et d’échos, un souffle qui plane encore longtemps après la dernière note. Les lumières s’adoucissent, et l’on sent ce lien fragile entre la scène et le public se diluer lentement, comme un songe qui s’évapore peu à peu. Sylvaine nous livre des fragments d’âme. Dans cette cale, à quelques centimètres d’eux, on repart le cœur encore en voyage, mais apaisé, un peu ailleurs ; comme si la péniche avait quitté le quai pour voguer vers un autre monde, loin des tumultes de notre vie terrestre.
Conclusion
En refermant les portes de l’Iboat ce soir, on garde deux traces, deux reflets. Celui d’une Yadé solaire, instinctive, tissant sa pop vaporeuse avec un naturel désarmant. Puis celui d’une Sylvaine lunaire, cathartique, faisant du post-black metal une expérience presque surnaturel. Deux univers opposés, mais complémentaires, unis par la sincérité et la profondeur.
On a comme l’impression de revenir d’un autre monde. Quand les dernières vagues se sont tues, le bateau ne semblait plus flotter sur la Garonne, mais sur quelques mers invisibles, suspendues entre rêve et réalité ; un passage vers un ailleurs dont on ne revient jamais tout à fait…
Merci l’Iboat et toute sont équipe pour l’acceuil et la programmation, The Link Prodcutions, ainsi que Yadé et Sylvaine pour cette soirée angélique.
[ENGLISH VERSION]
Mist and light: an evening suspended above the waves with Sylvaine and Yadé @ L’Iboat (Bordeaux) on October 9, 2025
The audience settles into the heart of the Iboat, the legendary barge moored on the quays of Bordeaux. Inside, the venue is a hold transformed into a musical cocoon : the ceiling is so low you can touch it with your fingertips. The stage is at eye level, with soft lighting causing reflections to dance on the metal walls. The atmosphere is intimate, almost confidential. And yet, the room is already full. Tonight, two worlds will follow one another, and the journey begins with Yadé.

Born in 2023, Yadé is the project of a Bordeaux artist with a double life : nurse by day, musical enchantress by night. Accompanied by her partner Julien Pierre, she immediately plunges the room into an ethereal pop-electro atmosphere that is both light and disconcerting. Her world is a clever mix of softness and tension, oscillating between ethereal poetry and controlled madness.
On stage, Yadé is transformed. Her gestures become a language, her hands twist, her face comes alive with expressive grimaces, to the rhythm of the beats and electronic breaks. She strides across the stage like a modern nymph, half-teasing, half-mysterious, capturing the audience’s gaze and never letting go. Her fixed, almost hypnotic gaze sweeps across the crowd, giving the impression that she is singing for each person individually.
Between songs, she defuses this intensity with humorous and light-hearted interjections. Before the song Kraken, she jokes about her thalassophobia (“and to think we’re on a boat!”), triggering laughter from an already captivated audience. Later, she self-deprecatingly refers to her “erotomania,” which she says she is “treating” thanks to her work in a psychiatric hospital, before launching into the song Erotomania with an amused wink.
Musically, Yadé’s universe draws on multiple influences: the fragile textures of Aurora, the intensity of Billie Eilish, the poetic accents of Angèle, the experiments of Bjork, and even the mystical nordicism of Eivør, whose song she covers with emotion. This diversity blends into a clear, personal identity that is already well established despite the youth of the project.
At her side, Julien Pierre displays impressive ease, a discreet but essential multi-instrumentalist. He juggles keyboards, guitars, electro loops, and backing vocals, weaving the soundscape in which Yadé can display all her uniqueness.
This first part, both surprising and captivating, creates a suspended atmosphere.
Yadé captivates effortlessly, playing with spontaneity and precision, mixed with lightness and depth. The duo manages to create a bubble in which time seems to expand, leaving the audience both soothed and intrigued.
Yadé is a refreshing, sincere discovery, already brimming with personality, who clearly makes you want to dive back into her world through her recent EP and singles.

After a short break, just long enough for the barge to catch its breath, Sylvaine takes her place on the small stage of the Iboat. The contrast is immediate : where Yadé had just captivated us with her eccentricity and mischief, Sylvaine conjures up a veil of mist, an almost unreal atmosphere. The first notes of Earthbound resonate like a breath towards another world, carried by Kathrine Shepard‘s schizophrenic voice. She oscillates, with disarming ease, between an icy black metal scream and a luminous, fragile, crystalline singing voice. The low ceiling, the black metallic walls, everything seems to vibrate in unison with the reverberation of her guitar. We no longer watch the stage, we surrender to it.
Very quickly, Abeyance and Fortapt follow one another, reinforcing this impression of suspended floating. Each moment of ethereal reverie stretches out in the air, each breath, scarred by black metal, seems to shake the hull. In this confined space, Sylvaine’s music takes on an intimate, incandescent dimension. The crescendos of intensity and the post-metal explosions drowned in melancholy strike right at the heart. I Close My Eyes So I Can See capsizes the barge with a contained tension, both heavy and airy, before Nowhere, Still Somewhere literally carries us away into a celestial trance, satin-smooth and undeniably beautiful.
The transitions are fluid and organic, a wave of sound that gently washes over each spectator. At his side, the musicians spray us with sonic spray, with remarkable precision. The drums, alternately airy and martial, support each emotional crescendo. Meanwhile, the bass vibrates right down to the hull of the boat, anchoring the flights of fancy with an earthy heaviness. On Atoms Aligned, Coming Undone, the band’s cohesion shines through. Their looks, their gestures, everything is revealed, like a precise and inhabited ritual. It’s teamwork that crystallizes all the band’s instrumental genius. We witness an alignment of magical atoms, taking us beyond worlds to touch on deep and unknown universes.
Kathrine‘s restrained stage presence amplifies the emotional power of the moment. She often keeps her eyes closed (and so do we), as if to better let herself be carried away by her own music. Then suddenly, her voice shifts. From clear, almost celestial singing, she slips into a black metal scream of heart-wrenching intensity. This is particularly noticeable on Mono No Aware and Severance, where softness turns to fury, light becomes storm. In the barge, each scream seems to splash against the walls, trapped with us in this hypnotic closed space.
Between songs, she thanks the audience in a soft, almost shy voice, touched by the intimacy of the venue and the warm aura it exudes. On A Ghost Trapped in Limbo, seven minutes of purity, enveloping beauty envelop us in a graceful softness, and we hold our breath. It is on Mørklagt that she releases it, in a final cathartic scream, carried by the rumbling drums and breathless guitars. The set ends with a timeless moment: the solitary and intimate interpretation of Eg Er Framand, a cover of a traditional Nordic song of disarming beauty. The audience is frozen in absolute silence, hanging on the singer’s every lip movement. At that moment, the rest of the world is erased, leaving only Sylvaine, the hold of the Iboat and its crew, and us.
The concert ends in a mixture of silence and echoes, a breath that lingers long after the last note. The lights soften, and we feel the fragile link between the stage and the audience slowly dissolve, like a dream gradually evaporating. Sylvaine gives us fragments of her soul. In this hold, just a few inches away from them, we leave with our hearts still on a journey, but at peace, somewhere else; as if the barge had left the dock to sail to another world, far from the turmoil of our earthly lives.
Conclusion
As we close the doors of the Iboat tonight, we are left with two impressions, two reflections. That of a sunny, instinctive Yadé, weaving her ethereal pop with disarming naturalness. Then that of a lunar, cathartic Sylvaine, turning post-black metal into an almost supernatural experience. Two opposing but complementary universes, united by sincerity and depth.
It feels like coming back from another world. When the last waves died down, the boat no longer seemed to be floating on the Garonne, but on some invisible seas, suspended between dream and reality; a passage to another place from which one never quite returns…
Thank you to Iboat and its entire team for the welcome and the program, The Link Productions, as well as Yadé and Sylvaine for this angelic evening.
