La soirée du 7 octobre 2025 au Bataclan est une histoire qui commence par la fin :
Après une lourde journée de boulot, le public arrive vide de toute énergie, dans la salle du Bataclan. Par Aurélie Renault
Nous ne sommes plus que les fantômes de nous-mêmes lorsque la soirée s’ouvre sur la prestation de The Great American Ghost. Leur morceau d’ouverture, « Hymn of Decay », nous éviscère déjà de ses riffs tranchants et incisifs et nous sommes heureux de ne plus posséder nos corps. Pourtant, l’atmosphère lugubre de « Lost in the Outline », « Echoes of War » ou encore « Altar of Snakes » réchauffent paradoxalement l’atmosphère et nous ramènent en vie, tandis que le groupe demeure dans l’au delà d’une scène placée dans les cieux. Les cris plaintifs déchirants d’Ethan sonnent comme un appel à l’aide, un cri de détresse d’un être qui perd sa forme, dans le néant. Mais le damné est bien décidé à hanter ces lieux et s’élance, dans un ultime geste, au milieu de la fosse. Son retour parmi les vivants déchire la solitude en deux, avant que la foudre ne frappe nos oreilles, et
que le sol se referme sur le frontman, l’engloutissant sous un amas de corps. Un coup de
« Kerosene » pour purifier, et nous les abandonnons sur « Forsaken ». Il ne tiendra qu’à nous de garder vivant le souvenir de ce live.
De nouveaux souvenirs nous reviennent. Nous n’avons pas toujours été des fantômes. Un coup métallique de batterie nous rappelle depuis d’une pelle. Et de fait, devant nous se tient notre propre enterrement, mené par After The Burial. Le groupe mène un rituel technique, mécanique et précis. La fosse commune s’agite et fait remonter à la surface des corps qui slamment, comme des fantômes survolant nos têtes. Les titres qui ouvrent et balisent leur set ressemblent à des épitaphes modernes : « In Flux », « Exit, Exist », « Behold the Crown », autant de phrases qui témoignent d’un monde révolu et pourtant familier. La cadence est implacable ; les guitares creusent des sillons dans nos êtres, la basse secoue la terre, et la batterie scande le pas funèbre. Allons nous parvenir à nous souvenir de la raison de notre mort ? Nos corps sont chauds, bouillants même, mais surtout ils sont douloureux après s’être fait fracasser par la foule.
Le sentiment de saigner de l’intérieur. Bleed From Within, tête d’affiche de la soirée, en incarne la cause et ne tarde pas à nous expliquer comment tout s’est effondré. Le set s’ouvre sur une ironie familière, compte tenu de notre état : « Living on a Prayer ». Puis la cavalcade : « Violent Nature », « Zenith », « Sovereign », autant de titres qui nous consument. Certaines de leurs œuvres font office d’ultimes aveux : « I Am Damnation », « Stand Down »… Leur musique est notre bourreau, une sentence qui nous tombe dessus. Du haut de leur « God Complex », ils nous punissent pour nos péchés. Heureusement, avec « A Hope in Hell » et sa brutalité teintée d’une élégance noire, nous retrouvons une lueur d’espoir. Nous sommes les martyrs de ces rois de macabres, couronnés de misère. Dans ce
purgatoire, nous remettons en questions tout ce que nous savons. Nous acceptons la douleur, nous la laissons nous submerger. Les portes de la salles sont ouvertes et laissent paraître de la lumière : ces mêmes portes que nous avons initialement franchies. Nous comprenons que tout cela n’était qu’un voyage initiatique, et non pas une prophétie. L’issue déprendra de nos choix, mais nous sommes prévenus. Ainsi, au bord de l’éternité, nous regagnons notre vie terrestre sachant que, quelque part, il pourra y avoir une place pour notre Halo.
Traversés par cette chronique inversée, après avoir rencontré la beauté austère du fantôme, la ritualité d’After The Burial et la déflagration de Bleed From Within nous refermons les portes de cette nécropole musicale qui gardera, entre ses murs, les échos d’une soirée qui la hantera sans doute un moment. Les passants parisiens disent que les notes résonnent encore, comme des pas dans un grenier que l’on croyait vide.