Atreyu – The Curse : La nuit des cendres et du sang (06.10.2025) [FR/EN]

La Machine du Moulin Rouge, Paris – 6 octobre 2025
Ce soir-là, Paris s’est vêtue d’une nuit particulièrement profonde. Devant La Machine du
Moulin Rouge, les silhouettes s’agglutinent comme des âmes appelées à un sinistre
dessein. Vingt ans (+1 !) après la sortie de The Curse, Atreyu revient exhumer le corps de
son célèbre album, non pour conjurer le sort qui nous a été jeté à l’époque, mais pour le
célébrer – comme on boit à la santé d’un fantôme qu’on a appris à aimer. Il est temps de
rouvrir cette plaie, que nous sommes beaucoup à porter dans notre chair, nos oreilles et
nos coeurs, depuis tant d’années. Article et photos par Aurélie Renault.

Prologue – L’ombre de Zero 9:36
Les lumières s’éteignent et il est temps pour les préparations du rituel. Des silhouettes
apparaissent dans la pénombre : celles des musiciens de Zero 9:36. Les premières notes
de “Underneath” provoquent une première brèche dans le silence glacial de la salle.
L’obscurité est encore présente, mais les musiciens nous montrent le passage grâce à la
lanterne de “Chasing Shadows”. Leurs accords entremêlés de rap, guitares saturées et
nappes électroniques résonnent comme une fissure dans le miroir de notre monde
intérieur : un miroir où nous pouvions entrevoir nos reflets distordus, écorchés. Nos
masques sociaux sont tombés pour laisser place à la réalité de nos êtres, sensibles,
vulnérables.

Leurs paroles, pleines de doutes, d’addictions, de douleurs, de lutte avec soi-même,
flottent dans la salle comme une vapeur morose qui caresse nos cicatrices communes.
La rage qui s’exprime dans les pulsations de beats hybrides et les lignes de basses
saturées provoquent un tremblement sous nos pas, et mobilise peu à peu la foule,
l’emportant dans sa danse macabre. Le public et le groupe valsent main dans la main au
rythme de “Until The Day I Die”. Le sol vibre, la tension monte, et les murs semblent peu
à peu s’échauffer. Nous prenons une vraie décharge d’“Adrenaline” avant que “The
End” ne clôture leur set.

Ils sont un superbe prélude à la tempête qui nous attend, une sorte de bruissement de
pages mortes avant que l’écrit maudit ne soit ouvert.
Quand les dernières notes se taisent, la Machine est prête.
Le livre va pouvoir s’ouvrir.

Acte I – Les premières incantations
Les lumières de notre cathédrale sonore s’éteignent, et la première note résonne comme
une clé sur une ancienne porte : “Blood Children”.
Un battement de cœur, des cris d’ados meurtris cherchent une voie à travers nos voix
d’adultes, puis l’incantation débute : « Goooo ! », “Bleeding Mascara” fend la salle
comme une lame sacrificielle. La foule se disloque, se réunit, se déverse. Chaque note
devient une écorchure de plus dans le corps du public, qui met toute son âme dans
chaque ligne de texte. “Right Side Of The Bed” suit, et le « Have you ever cried so
hard ? » semble directement s’adresser à nous. La foule est clairement émue et déclame
les paroles avec toutes ses tripes, traversés par la même douleur que celle de 2004.
C’est un retour dans la chair : l’enfance écorchée, les amours perdues à tout jamais, la
tristesse de ces époques ingrates de nos vies… mais aussi le sentiment d’appartenance, grâce à leur musique… Tout remonte à la surface. L’album n’a pas vieilli (et sa réédition nous l’a prouvé), il s’est fossilisé dans les cœurs.

Acte II – Les couloirs du souvenir
Puis vient “This Flesh a Tomb”. Ses riffs lumineux nous font entrevoir un peu de lumière
dans les ténèbres sonores. Le public suit nos éclaireurs, comme s’il marchait un guide
dans une maison abandonnée dont chaque porte ouvre sur un souvenir.
Dans This Flesh a Tomb, la voix hurlée de Porter se mêle à la voix claire et devenue plus
mûre, de Brandon. Leur dialogue devient une sorte de prière schizophrène : l’un veut fuir,
l’autre veut comprendre. Entre eux, la douleur se transmue en une beauté
immortelles. « The Crimson” résonne ensuite comme une confession : celle d’être devenus
le monstre que l’on craignait, accepter la bête sous la peau. Les lumières rouges se
reflètent sur les visages, le sang devient lumière, nos cris deviennent des offrandes.

Puis “The Remembrance Ballad” vient faire fléchir le temps, dans un moment suspendu.
Tout s’est arrêté, sauf les souvenirs qui pleuvent sur nos joues. Les guitares se font
lamentations, la salle retient son souffle. Cette chanson n’est plus un simple morceau :
c’est une tombe fleurie de fragments de nos vies. Dans les yeux de certains, on devine les
vingt années écoulées et les nombreuses nuits d’écoute solitaire, où cet album a été une
ancre. D’un nouveau revers de main, nous dépoussiérons notre vieux vinyle, et nos âmes
doutent face à l’incertitude de l’avenir. Mais Brandon nous le dit : il n’est jamais possible
de remonter le temps, nous devons toujours aller de l’avant, sauf sur cette tournée, alors il
faut profiter de cette capsule temporelle unique.

Acte III – Le feu, le chaos, l’exorcisme
Quand “Corseting” éclate, c’est la révolte. Il est temps de vivre et de briser les liens avec
nos démons passés. Il est temps de sublimer la douleur, de la transformer en une force
vitale. Le public se tord, danse, s’arrache. Les guitares et la basse s’entrechoquent
comme des chaînes que l’on cherche à rompre, enfin.

Puis “Demonology & Heartache” s’avance comme un spectre au milieu d’un cimetière
d’amours passés. Mais nous ne déterrerons pas nos démons ce soir. Nous les enfermons
à jamais dans un passé qui ne nous appartient plus. Grâce au fil doré des riffs, nous
recousons nos cœurs éventrés, et disons définitivement adieu à la nostalgie toxique.
La Machine devient cathédrale de feu. La salle s’embrase. Les bras se lèvent, les cris se
mêlent aux riffs, et le sol tremble sous le poids des colères délivrées, soutenues par une
batterie percutante.

My Sanity on the Funeral Pyre” fait atteindre le point de non-retour et transforme la
scène en bûcher final. La raison brûle, la folie s’embrase. C’est l’apogée du show, le
moment où tout se défait, où la musique devient une sorte d’incantation primitive. Le
concert devient un rituel, une transe collective dans laquelle nous brûlons nos fardeaux,
dans un brasier sonore. Nous avons gagné. Contre nous-mêmes.
Et quand la mélodie finale de “Nevada’s Grace”/début de “Five Vicodin Chased With a
Shot of Clarity” se fait entendre, la tempête s’apaise – le ciel s’éclaircit, le groupe respire.
Une accalmie pour souffler à nouveau et espérer survivre à ce chaos.

Le public, couvert de sueur, accueille cette courte douceur comme un baume pour nous
aider à panser nos plaies, après cette lutte infernale.
Le grimoire de The Curse peut se refermer, avec dedans, nos souvenirs.

Épilogue – La renaissance
Mais The Curse ne s’éteint jamais vraiment. Et Atreyu est loin d’être mort.
L’encore est une seconde vie, un retour du feu. Les livres de leur discographie tombent de
tous les côtés et chacun nous fait voyager dans notre inconscient. “Becoming the Bull
nous charge en pleine face pour nous faire sombrer dans les profondeurs de 2007, pour
nous confronter une ultime fois à la bête en nous, tandis que “Ex’s and Oh’s” nous fait
perdre contrôle et tituber jusqu’en 2006 et interroger les addictions que nous avons pu
rencontrer tout au long de ces années. Les souvenirs pogotent les uns contre les autres,
et nous sommes pris dans un tourbillon incontrôlable. Nous sommes désorientés.

Sommes-nous dans l’au-delà ? Sommes-nous morts ? “Dead” nous rappelle à la réalité,
en 2025 pour nous faire reconsidérer notre vie aujourd’hui. Est-ce que cette histoire sera
un nouveau livre sur l’étagère couvert de poussière, ou voulons nous le garder bien
vivant ? Quel souvenir allons nous laisser ? Nous faisons un ultime bond dans le passé,
en 2002, avec “Lip Gloss and Black” de Suicide Notes and Butterfly Kisses : « Live!
Love! Burn! Die! » Sonne comme la solution que nous cherchions. Nous devons vivre
grand, fort, brûler de vivre, aimer si fort que l’amour nous consume, çar ce qui nous attend
tous intimement est la mort. Alors vivons, aimons-nous, explosons de joie et de vie.
Les lumières se rallument et nous sommes plein d’espoirs. Atreyu nous a offert un sublime
voyage dans le temps, tumultueux et douloureux, mais nécessaire, et a prouvé que leur
musique était bien vivante.

Mais surtout, cet échange avec le public a permis de prouver que The Curse n’a jamais
été qu’un album : c’est un monument, une époque, une émotion brute, une jeunesse
marquée à jamais, au plus profond du coeur. Et ce soir-là, à Paris, le groupe n’a pas
simplement célébré son fantôme, ils lui ont redonné souffle, comme on ranime un feu
qu’on croyait éteint. De leur côté, les spectateurs sont repartis heureux, comme si, au fond
de la nuit, la malédiction avait trouvé sa rédemption. La malédiction s’est rejouée, mais
quelque chose a changé : cette fois, elle a libéré au lieu d’enchaîner.

Latest articles

Related articles

Leave a reply

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici